« Michel Vovelle nous a quittés »
Par ces mots glaçants et redoutés, mon vieux complice Michel Lafelice m’annonça il y a quelques heures ce que nous craignions tous.
Ce n’est guère que la seconde fois – je n’ai pas dit « la deuxième » – que je m’effondre en larmes dans le métro.
Il n’est rien de dire que je suis effondré ; l’anesthésie ne compense pas le choc.
Toute thrénodie est personnelle, certes, et on parle plus de soi que du regretté, j’en conviens. Mais… Mais, Michel Vovelle …
L’on pardonnera (ou pas).
Cette formule (« on pardonnera (ou pas) ») l’avait fait sourire quand elle fut prononcée au colloque « Paris et la Révolution » mi-avril 1989. Ce sourire m’encouragea.
On sait bien que dans la mort, la souffrance est pour ceux qui restent et que l’on ne peut plus dire toute l’affection et l’estime, pour ne pas parler d’amour, aux disparus.
Mais étaient-ils dupes au demeurant ?
Par cette interrogation faussement dubitative, je suis – moi aussi mais si mal – « plus labroussien que braudélien » pour citer Vovelle.
On parlera de l’historien, on parlera de l’universitaire. A bon droit.
On parlera avec une allégresse non dissimulée du combat qu’il mena de longue main et avec succès en 1989 pour faire du bicentenaire une victoire historiographique et politique. Vovelle l’a raconté. Et triompher en ce moment était tout sauf évident.
On parlera de son humanité et elle était grande, de sa détermination à faire tomber les murs de Jéricho, sans trompettes, de sa collection de briquets illustrés de femmes nues car sa jovialité était, parfois, juvénile et diabolique.
On parlera des gens qu’il aimait et comment ne pas penser à eux ?
On parlera de beaucoup de choses mais, ici, l’ami dévasté doit céder le pas au Président de l’IRELP.
Michel Vovelle fut membre du premier Conseil d’Administration de l’IRELP, il y a presque vingt ans et au moment où nous entamons les préparatifs du 20e anniversaire de l’IRELP, cela prend un relief bien chagrin.
Il ne manqua pas notre colloque de 2001, celui de 2008, celui de 2009 en célébration de la Révolution où il prononça à mon endroit des mots bouleversants et qui me bouleversent encore plus depuis hier.
Il fut, entre autres choses, signataire de nombreux textes en défense de la laïcité dont « l’Appel des Laïques » de ces derniers mois car il ne se trompait pas sur la force des choses.
Dans son dernier ouvrage où pointait une nostalgie lucide et tendre, il évoquait la Libre Pensée avec amitié.
Ces mots sont bien pauvres et bien solennels pour essayer, mal, de masquer un désarroi immense.
Michel Vovelle fut tout cela et, pour le signataire de ces lignes, bien plus.
Il fut celui qui me reçut en Sorbonne : j’étais employé au courrier des Allocations Familiales et trotskyste (ce que je suis toujours). Il était Professeur de la Révolution en Sorbonne et Jupiter (le vrai) peut regarder cela avec jalousie. Il avait adhéré au PCF en 1956, cette année terrible, presque obsidionale. Nous n’avons jamais parlé de nos désaccords politiques. Par réserve, par pudeur, par affection ? Je ne sais.
Je cherchais un directeur de thèse ; il m’accompagna.
Peut-on mesurer cette gloire : Michel Vovelle a été mon directeur de thèse.
Son affection ne me quitta pas.
Il m’envoyait ses ouvrages avec une dédicace délicate « en fraternel hommage ».
Qui suis-je pour mériter l’hommage de Michel Vovelle ?
C’est à coté de lui que je veux m’assoir.
Jean-Marc Schiappa, Président de l’IRELP, élève et ami de Michel Vovelle. ..