Il faut toujours se méfier des lois obscures

Notre ami, Jean-Michel Ducomte, ancien président de la Ligue de l’Enseignement et juriste reconnu, nous fait parvenir ce texte, fouillé et argumenté comme il se doit, à destination d’éventuelle publication.

Ce texte a pleinement sa place dans la réflexion que nous avons essayé d’entamer avec notre Déclaration du 21 janvier de cette année, texte qui affirmait, entre autres « l’IRELP comme l’ensemble du mouvement associatif, syndical, humaniste se prononce pour le retrait de la Loi dite « Darmanin » et soutient toutes les initiatives qui se fixent cet objectif »

L’IRELP se fait un plaisir de donner suite à son amicale demande.


Analyse critique de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021
confortant le respect des principes de la République
Jean-Michel DUCOMTE

Il faut toujours se méfier des lois obscures. Et cette méfiance s’impose sans qu’il y ait à distinguer selon que leur obscurité résulte de la piètre qualité de leur rédaction ou tient à la volonté de ses rédacteurs de dissimuler les arrières pensées se cachant derrière le travail législatif. La loi n° 2012-1109 du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, adoptée symboliquement 449 ans, jour pour jour, après les massacres de la Saint Barthélémy, fait, à cet égard figure de modèle. Elle est à l’exact opposé, tant en ce qui concerne les débats parlementaires qui en ont précédé l’adoption que dans sa rédaction, de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, dont elle fut souvent présentée comme une tentative d’actualisation. Clarté des prises de position et du texte finalement adopté en 1905, confusion des débats, parfois arrières pensées xénophobes, nécessité de tordre le cou à nombre de propositions de lois circonstancielles expressions d’impatiences conjoncturelles et, finalement, un texte rendu illisible tant il fait la part
belle à la modification de codes ou de lois antérieures.

Et pourtant la symbolique mobilisée lors de l’annonce du projet de loi puis lors de son dépôt était riche de promesses. C’est le 4 septembre 2020, cent cinquante ans après que Léon Gambetta ait proclamé le rétablissement de la République depuis le balcon de l’hôtel de ville de Paris, à l’occasion d’une cérémonie de naturalisation de cinq ressortissants étrangers, que le Président de la République annonçait le dépôt d’un « projet de loi de lutte contre le séparatisme ». Le 2 octobre suivant, le Président de la République précisait sa pensée, de même que le calendrier de préparation et de dépôt du projet de loi dans un discours prononcé aux Mureaux, dans les Yvelines. Bien qu’il soit, désormais question d’un texte visant à lutter contre les séparatismes et non plus le séparatisme, le chef de l’Etat évoquait de façon expresse le séparatisme islamiste. Il ajoutait que l’objet du texte visait à « renforcer la laïcité et consolider les principes républicains ». Par ailleurs, il précisait que le projet serait présenté lors du Conseil des ministres du 9 décembre, date anniversaire la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. L’intitulé du projet de loi a évolué avant de recevoir son appellation définitive. « Projet de loi visant à lutter contre les séparatismes », il est devenu « Projet de loi confortant la laïcité et les principes républicains », puis « Projet de loi confortant les principes républicains ». Finalement, suivant en cela l’avis rendu par l’assemblée générale du Conseil d’Etat en sa séance du 3 décembre 2020, le gouvernement retint de dénomination suivante : « Projet de loi confortant le respect des principes de la République ».

Comportant 51 articles, le texte affichait une ambition certaine puisque l’essentiel des libertés fondamentales constitutives de l’identité républicaine des institutions françaises se trouvaient, à des degrés divers, concernées : libertés d’association, de conscience et de culte, de réunion, d’expression, d’opinion, de communication, liberté de la presse, libre administration des collectivités territoriales, liberté de l’enseignement, d’entreprendre, liberté contractuelle. …/…